La nostalgie du SEO
Rédigé par Didier Publié le 11/05/2021
J'ai commencé le SEO en 2007. C'était bien avant Google Panda (août 2011 en France) et Penguin (avril 2012). Google avait déjà 90% des parts de marché, mais il était suivi par Yahoo et Live, l'ancêtre de Bing. On jouait à la Wii, sortie l'année précédente, on dansait sur "Love is gone" de David Guetta, et l'iPhone détrônait le tout-puissant BlackBerry. Bref, ça fait un bail, et j’ai vraiment la nostalgie de cette époque.
La voix de Google, c'était Matt Cutts, et on écoutait déjà ses "recommandations" avec un petit sourire en coin. Il faut dire qu'on ne se privait pas : même si on faisait du propre en agence SEO la journée, on testait tout et n'importe quoi à la faveur de la nuit. Une fois enfilés nos chapeaux noirs, tous les coups étaient permis pour gratter du trafic. Et ça marchait.
On s’était un peu tous lancé là-dedans après avoir entendu parler de la Million Dollar Homepage : un type avait eu l’idée géniale de séparer une page en 10.000 blocs de 100 pixels (10x10) et y vendait des liens, à un dollar le pixel. Au départ, il a vendu quelques petits blocs, puis des acteurs plus costauds (notamment dans le gambling) lui sont tombés dessus et ont acheté des encarts à plus de 5000 dollars, et ça s’était enflammé.
À l’époque, quasiment tout le monde avait au moins un blog. Dans les sidebars, on retrouvait toujours les mêmes personnes, qui avaient un lien sur chaque page de tous les sites.
On avait aussi, déjà, des sites “MFA” (Made For Adsense) : tout le monde avait un “accès auteur” chez tout le monde : on publiait librement, on posait nos liens chez les copains, et ça suffisait largement pour nos petits besoins. Sur chaque page de nos sites, un bloc Adsense était placé au début du contenu. 300 pixels de large, sur 250 de haut. Dans le header, une bannière (même si c'était déjà ringard) de 468x80. Ça suffisait amplement : en publiant régulièrement une page de contenu (300 mots, 2 sous-titres en H2, quelques mots en gras) et en appuyant sur les bons boutons, on arrivait à ranker facilement en “longue traîne” et, avec un peu d’expérience, on taquinait des mots-clés assez concurrentiels. C'était plus que suffisant pour rentabiliser l'achat du contenu.
On avançait à tâtons : Ahrefs et Semrush n’existaient pas encore. Comme metrics sur nos sites, on utilisait surtout le PageRank de Google. Une extension Firefox (Chrome n’est sorti qu’en 2009) nous permettait de voir cet indicateur, pour chaque page, sous la forme d’une petite barre verte, graduée de 0 à 10. Environ une fois par mois, Google recalculait ce PageRank pour toutes les pages du web : ça prenait trois ou quatre jours, et ça faisait bouger les SERPs dans tous les sens. On appelait ça la Google Dance. Une fois les calculs finis et les datacenters synchronisés, il fallait attendre un mois de plus pour que le PageRank d’un site puisse bouger à nouveau. Le PageRank était sur une échelle logarithmique : il était assez facile de monter à 4 ou 5, puis chaque échelon était plus compliqué à décrocher que celui du dessous. Plusieurs méthodes (à base de redirections, ou de canonical) permettaient d’avoir un “fake pagerank”. Le Graal à l’époque, c’était de décrocher un backlink sur un site PR10 (il en existait une dizaine) ou PR9 (moins de 200). Ces sites étaient surveillés comme le lait sur le feu, on était tous à l’affût d’une faille qui nous aurait permis de poser nos liens.
Gagner des backlinks, à cette époque bénie pré-penguin, c’était extrêmement facile. Déjà, tout le monde avait au moins un site de “communiqués de presse” : c’étaient des sites généralistes, où tous nos potes avaient un accès. Chacun publiait ses CP sur les sites des copains, et y plaçait ses liens. Ensuite, il fallait trouver du “linkjuice” extérieur, pour alimenter ces vases communiquants. On se tournait alors vers les digg-likes : des sites où tout le monde pouvait poser des liens, et voter pour les liens des autres. Les meilleurs votes se retrouvaient sur la homepage, assurant pendant quelque temps un lien intéressant.
Ça se passait aussi sur les annuaires. On appelait ça soumettre un site (d’où le nom de notre plate-forme, au passage) : il fallait rédiger une courte description du site, et le webmaster acceptait ou non de publier notre fiche. Certains annuaires imposaient un “lien retour obligatoire”, qu’il fallait poser avant que notre site soit accepté - comme ça, en cas de refus, l’annuaire gagnait un lien sans contrepartie. On avait donc, sur chaque site, une page “partenaires”, mal intégrée à la structure globale, sur laquelle on posait tous les liens en question. Ils prenaient souvent la forme de logos en gif animé, c’était du plus bel effet sur la page quand tous les logos clignotaient à l’unisson.
D’ailleurs, pendant qu’on y est, vous vous êtes déjà demandé pourquoi on appelle ça un “backlink” ? “Link”, je comprends, mais “back” ? Ça vient de l’époque où on parlait de “lien retour” dans le cadre des échanges de liens. Cet abus de langage est passé dans le jargon courant.
Pour en revenir aux annuaires, certains avaient l’excellente idée de trier les sites, dans leur catégorie, en fonction du nombre de votes qu’ils avaient reçus. Évidemment, on a commencé par demander aux copains d’aller voter pour nos sites, puis on a industrialisé l’idée avec des scripts. Les mêmes scripts servaient aussi à modifier notre date d’anniversaire sur les forums : vu qu’on avait un lien sur notre page profil, et qu’elle était linkée depuis la home le jour de notre anniversaire, il suffisait d’éditer notre date de naissance chaque jour pour avoir un lien permanent sur la page la plus puissante du forum.
C’était aussi la grande époque du “spamco” : on commentait tout et n’importe quoi. Du WordPress, surtout quand le plugin “KeywordLuv” était installé (il permettait d’avoir des liens en dofollow), mais aussi beaucoup de SPIP (“Pour créer des paragraphes…”). Certains blogs affichaient même un widget “commentaires récents” dans leur sidebar. Même combat : on les commentait sans relâche, pour gratter un lien sur toutes les pages. Si le blog était dans la même thématique que le site cible, bingo, c’était déjà un grand pas en avant.
On faisait aussi des “sites satellites”, ancêtres des PBN : on montait des sites de quelques pages. En général, on commençait par faire propre, avec quelques pages de contenu unique qui visait un tout petit groupe de mot-clés… mais rapidement, ça a dégénéré, et c’est devenu le vrai far west. LinkFarmEvolution permettait de créer des blogs sur des plateformes gratuites (genre Tumblr), puis Autosplog permettait de les remplir en scrapant tout et n’importe quoi : il recrachait le contenu sous la forme d’une bouillie où il suffisait de glisser les liens. Ces blogs spammy au possible ne tenaient généralement pas très longtemps, mais ils étaient générés par milliers.
1 commentaire
Certains aspects ont changé, principalement, le fait de ne plus partager ouvertement un plan backlink qui sera grillé en l'espace de quelques heures par des spammeurs bourrins, mais il reste encore beaucoup de choses qui font que le SEO reste un vaste terrain de jeu non ?